L’Anatomie du Scénario de John Truby [chronique]

L'Anatomie du Scénario, manuel d'écriture de John TrubyUn incontournable des manuels d’écriture, pour écrivains débutants et expérimentés. Tout au long de « L’Anatomie du Scénario » , le crédo de John Truby est : « Comment faire pour qu’une histoire soit organique (= naturelle, suivant sa logique interne) et non pas mécanique (= artificielle, suivant la volonté de l’auteur) ? »

Voici ce que je retiens de sa méthodologie pour construire un scénario et le document de travail que j’utilise (pdf).

Je précise que John Truby est consultant en scénario pour des chaînes et studios américains et européens (Disney, Fox, HBO, BBC…). Avant de nous lancer dans la théorie, voici un bref aperçu de ce que contiennent les chapitres de ce livre et des prises de conscience que j’en ai tirées.

Au menu, nous avons…

  1. L’espace et le temps de l’histoire
  2. La prémisse
  3. Les 7 étapes clefs de la structure narrative
  4. Les personnages
  5. Le débat moral
  6. L’univers du récit
  7. Le réseau de symboles
  8. L’intrigue
  9. Le tissage des scènes
  10. Construction des scènes et dialogues symphoniques
  11. L’histoire sans fin

« L’Anatomie du Scénario » propose une méthode à suivre pas à pas pour construire une histoire efficace qui emporte le lecteur. Beaucoup d’exemples tirés du cinéma américain, pas toujours connus pour des Français. Après les généralités du chapitre 1, Truby nous conseille de démarrer en définissant une prémisse = l’histoire résumée en une phrase « Qui combat qui et pour quoi ? ». Il est nécessaire que le concept soit clair et accrocheur pour guider l’ensemble de notre travail de construction. A partir de cette phrase, on va définir le personnage principal et les 7 principales étapes structurelles d’un récit (voir plus bas), puis le réseau des personnages et leurs relations. La prémisse peut aussi aider à trouver un titre 🙂

Le Joker, un adversaire de taille pour pimenter un scénario
Image par Med Ahabchane de Pixabay

=> J’ai compris que c’est un avantage de créer un véritable Adversaire (comme le Joker dans Batman), le plus fort possible mais doté de faiblesses, et qui veut la même chose que le protagoniste (trouver un même objet ou l’amour d’une même personne), bien qu’il existe de très bonnes histoires sans adversaire, comme dans le cas d’un personnage perdu. Note : la personne aimée peut être l’adversaire qui en met plein les dents au héros… Cette idée m’a poussé à revoir le positionnement de la petite amie d’un personnage dans un roman pour l’instant en stand-by.

Ensuite, on se concentre sur le débat moral, quelque chose de très important pour John Truby. Pour lui, l’auteur doit partir de la révélation morale qu’il veut faire vivre à la fin à son protagoniste pour bâtir le reste de sa personnalité et l’intrigue. Il conseille d’attribuer des valeurs morales aux personnages (parfois opposées), et de mettre le protagoniste face à une série de choix d’ordre moral. Il faut que ce soit compliqué pour lui à cause des faiblesses dont on a choisi de l’affubler en fonction de la révélation finale. Il peut faillir au début, se faire sermonner par un allié, observer d’autres personnages agir différemment face à ce type de situation… et se retrouver à la fin du récit, lors de la confrontation finale avec son adversaire, face à une grande décision morale à prendre et à comprendre (exemples classiques : céder à la vengeance ou rendre la justice ? céder à la vengeance ou perdre son honneur ?).
L’auteur peut montrer à travers cette décision si le héros a grandi, a appris, s’est transformé. L’histoire propose par l’intermédiaire de ses actes (et non pas au moyen de grands discours) une démonstration de la façon dont on peut mener une vie plus morale.

Image par Dorothée QUENNESSON de Pixabay

=> Le débat moral crée du sens, des émotions, et peut guider toute l’écriture d’un roman, de la présentation du personnage jusqu’au dénouement final. Pour Truby, c’est même la principale raison de raconter une histoire.
Je sais maintenant que de doter le héros de défauts moraux qui causent du tort à lui ET aux autres est un procédé de dramatisation important. Cela produit chez le lecteur des attentes, de l’identification (ou, du moins, de l’empathie), ça induit naturellement chez le personnage un besoin d’évoluer (avec succès ou non). Ça fait la différence entre un héros plat et un héros qui a du corps, qui semble humain. En bref, si l’on applique ces conseils, ça crée un personnage (et un récit) organique, mu par ses propres besoins et non par la volonté « artificielle » de l’auteur.

Truby poursuit sa démarche pas à pas avec l’univers, l’arène dans laquelle se passe l’histoire, que l’on doit selon lui charger de symbolisme. Le lieu où se passera la confrontation avec l’adversaire doit être le plus étroit possible afin d’augmenter la tension. De même, il propose de créer un réseau de symboles, supports du débat moral, qui reviennent à travers le récit pour suivre l’évolution du personnage, que ce soit des objets, des personnages, des lieux, des actions…

épée symbole de responsabilité morale
Image par Free-Photos de Pixabay

=> J’ai compris aussi que les objets symboliques qui reviennent au fil du roman, parfois avec un sens un peu différent, servent à générer une certaine charge émotionnelle pour le lecteur. L’épée de l’apprenti, symbole de son passage à l’âge adulte, devient le symbole de sa responsabilité morale quand il s’agit de décider de tuer ou d’être tué…
Idem dans The Walking Dead, quand Rick donne un pistolet à son fils (= symbole de la nécessité de se défendre), puis lui confisque car celui-ci s’en sert à mauvais escient (= symbole de colère), avant de lui redonner (= symbole de la confiance revenue). Cette arme est le reflet de l’évolution morale de l’adolescent au cours de la série et de la capacité de Rick à prendre de bonnes décisions.

Puis, l’auteur en arrive au cœur de sa méthode : le développement de l’intrigue en 22 étapes structurelles = les 7 principales (voir plus bas) + 15 autres, plus ou moins obligatoires.
En tout cas, utiliser ces 22 étapes permet d’enrichir le récit, pour le plus grand plaisir du lecteur (et de l’auteur pendant son processus de création). Ensuite, il convient de découper l’ensemble de l’histoire en chapitres et en scènes, en respectant certaines règles, comme les 7 étapes principales.

=> J’ai réalisé que construire une intrigue de qualité nécessitait, en amont du synopsis détaillé (pdf de synopsis à télécharger dans l’article en lien), un travail sur le scénario bien plus important que je n’aurais imaginé à mes débuts. Ça ne veut pas dire qu’il faut se priver de la spontanéité et du plaisir de laisser venir ses idées dans un premier temps… Mais dans un second temps (pour moi en tout cas), il convient de mettre de l’ordre et de formuler clairement mes intentions narratives. Grâce à John Truby, j’ai maintenant un vrai canevas pour bâtir mes intrigues et être sûr qu’elles soient prenantes, notamment par le biais des révélations et des 22 étapes structurelles. C’est ce que j’utilise actuellement pour les scénarios des 2 romans qui figurent dans mes objectifs 2015. Bon, c’est parfois un peu lourd à manier, mais je trouve que ça en vaut vraiment la peine… Mes personnages ont pris du relief, j’ai trouvé des retournements de situation qui pimentent bien l’histoire, etc.

Les 7 étapes structurelles d’un récit, basiques mais indispensables

Pour John Truby, la structure en 3 actes est insuffisante pour construire une histoire solide et organique. Il préfère découper un scénario en 7 étapes principales, puis en 22 étapes dans sa méthode complète. Mais ces 7 étapes servent également à construire ses chapitres et ses scènes.

Selon lui, pour que les actions du protagoniste soient organiques, il faut partir de la révélation finale qu’on veut lui faire vivre, afin de définir les faiblesses qui l’entravent, son besoin d’évolution et son désir dans l’histoire (= objectif). C’est en respectant ces éléments que le lecteur sentira que le personnage est mû par une volonté propre, que ça semblera naturel et cohérent (c’est pour ça que certains auteurs disent parfois que leurs personnages les surprennent ou n’en font qu’à leur tête). C’est aussi parce qu’il a des faiblesses que le protagoniste va pouvoir se transformer ou non au cours de l’histoire, ça le rend plus humain, plus crédible.

Étape 1 : définition des faiblesses du protagoniste
Ses « faiblesses psychologiques » lui causent du tort à lui, tandis que ses « faiblesses morales » causent du tort aux autres. Je trouve intéressant de faire cette distinction. Elles induisent chez le personnage un besoin de transformation qui ne pourra se produire que par l’action principale qu’il réalisera dans l’histoire.

Étape 2 : apparition du désir (= objectif)
Un évènement déclencheur va crée une rupture dans la vie du protagoniste. Il va vouloir réagir.

Étape 3 : adversaire(s) du protagoniste
Il a lui aussi un objectif (souvent en concurrence avec le protagoniste) et il peut lui aussi avoir des faiblesses, pour des raisons particulières. Ça le rend plus humain (évitons le cliché du méchant qui fait le mal sans raison…). C’est mieux aussi s’il n’est pas tout de suite identifié en tant qu’adversaire.

Étape 4 : plan du protagoniste pour atteindre son objectif
Ce plan peut être exprimé clairement au lecteur et aux autres personnages ou rester dissimulé. Il est aussi susceptible d’évoluer au cours de l’histoire selon le succès ou l’échec de ses sous-étapes.

Étape 5 : confrontation entre le protagoniste et l’adversaire
C’est le moment de vérité : la rencontre entre 2 concurrents, entre 2 systèmes de valeurs morales opposées…

Étape 6 : révélation finale
Le protagoniste comprend quelque chose, souvent sur lui-même (si on a bien veillé à l’affubler de faiblesses en fonction de cette révélation). Il peut choisir de l’accepter ou de la refuser. Truby conseille de retranscrire cela à travers des choix et des actes plutôt que de longs monologues explicatifs et moralistes…

Étape 7 : nouvel équilibre
Le protagoniste parvient enfin à un nouvel état. A nous de décider pour notre histoire si cet état final est inférieur, supérieur ou équivalent à celui d’avant l’évènement perturbateur.

Les 15 autres étapes que rajoute John Truby pour construire l’intrigue d’un roman s’insèrent entre ces 7 étapes principales. Je vous laisse lire le livre pour ça.

méthode pour écrire un roman pour les écrivains débutants : L'Anatomie du Scénario
L’Anatomie de Scénario, aux éditions Nouveau Monde

Les 7 étapes pour écrire le scénario, les chapitres et leurs scènes

Pour Mr Truby, il est important d’appliquer ces 7 étapes structurelles pour concevoir le livre dans son entier. Mais il convient aussi de suivre ce schéma dans chacun des chapitres et à l’intérieur de chacune des scènes qui doivent fonctionner comme autant de mini-histoires. Ainsi, chaque constituant du roman a son rôle à jouer et participe au fonctionnement organique de l’histoire. En ne les respectant pas, l’auteur prend le risque de décevoir son lecteur en rendant trop visibles les fils qui animent les marionnettes…

John Truby pense aussi que toutes les scènes et tous les chapitres doivent converger vers l’étape n°6, celle de la révélation finale. Il va même plus loin en affirmant qu’il convient de concevoir la scène en fonction de cette révélation.

C’est ainsi que les fins de chapitre de certains romans sont saisissantes, parce que toute l’action est tournée vers le moment-clé de la révélation. Je pense notamment aux « Pousse-Pierres » (chronique ici) et à « Toxic » (chronique là) où la pression va crescendo grâce à ce procédé.

Depuis que j’ai lu « L’Anatomie du Scénario » , je me suis rendu compte que le roman sur lequel je travaille, « Une Cité sous Influences » , souffrait de plusieurs passages mécaniques et de longueurs inutiles… Je m’efforce donc de remodeler le scénario de manière à employer ces 7 étapes à toutes les échelles de mon roman et je dois dire que mon histoire a gagné en force.

Et vous, que pensez-vous des 7 étapes structurelles de John Truby pour bâtir un récit ? Et des 22 étapes si vous avez ouvert mon document ?
Trouvez-vous pertinent de partir de la révélation finale pour concevoir les faiblesses et besoins du protagoniste afin de rendre l’histoire « organique » ?

9 réflexions au sujet de “L’Anatomie du Scénario de John Truby [chronique]”

  1. bonjour Jérémie
    tu as fait un gros travail pour pondre cet article. Merci.
    Pour répondre à ta dernière question (Trouvez-vous pertinent de partir de la révélation pour concevoir les faiblesses et besoins du protagoniste afin de rendre l’histoire « organique » ?), je pense que c’est une possibilité, ça peut servir en tout cas.. Mais je pense aussi que tout prévoir à l’avance avant même d’avoir commencé à écrire est dangereux.. l’histoire pourrait en devenir artificielle.. Je pense que le bouquin de truby donne de bonnes questions à se poser à divers stades de l’écriture.. au tout début, au milieu, à la fin.. oui on peut se poser ces question, voir comment notre histoire se tient si on l’analyse à la truby. Cela peut permettre d’orienter le travail ou de rectifier des manques, etc… mais je pense aussi qu’il est bon de laisser l’histoire apparaitre au fur et à mesure.. comme le pense Stephen King… Laisser l’imagination libre et se poser des questions avec du recul régulièrement sur ce qui en est sorti.. Je ne pense pas non plus que toutes les bonnes histoires répondent aux critères de TRuby.. mais qu’au moins en suivant ses conseils on aura à coup sûr un truc pas trop branlant.

    Répondre
    • Bonjour Valérie,
      Merci pour ton commentaire, ça me fait plaisir de te voir ici 😉

      C’est vrai que c’est quelque chose que je n’ai pas mentionné clairement dans mon article, mais les étapes structurelles de Truby (surtout quand on prend les 22) ne sont pas obligatoires pour faire une bonne histoire. Je suis d’ailleurs en train de lire La Dramaturgie d’Yves Lavandier et il s’amuse souvent à énoncer certaines règles ou constantes, puis à étudier et décrypter des contre-exemples. Comme tu le dis, se poser de temps en temps ce type de questionnement permet d’enrichir le roman. « Et s’il y avait un faux-allié qui, à un moment, trahit le protagoniste ? » « Et si le protagoniste se trouvait prêt à baisser les bras, pensant qu’il a échoué ? »
      Il est aussi possible de ne pas respecter l’ordre prescrit par Truby (c’est d’ailleurs le cas du scénario sur lequel je bosse actuellement).
      Et en parlant d’Yves Lavandier, il s’amuse de cet aspect « débat moral » que John Truby met en avant, tout comme bon nombre de films américains dont le 2e acte finit par une décision morale du protagoniste. Un peu comme une manière d’affirmer que le libre arbitre existe.

      C’est peut-être aussi un travers que j’ai en ce moment de vouloir beaucoup planifier mes romans, mais ça fait déjà plusieurs fois que je me lance sans plan ou sans avoir prévu la fin, et que je me retrouve avec un truc bancal nécessitant beaucoup de remodelage… Un juste milieu est peut-être à trouver 😉

      A bientôt,
      Jérémie

      Répondre
  2. J’ai fait les deux:
    La plupart du temps, quand je planifie tout avant l’écriture, je suis à bout de souffle au moment de me lancer dans le premier jet. J’ai comme un sentiment d’avoir déjà tout écrit, ça fait « redite ».
    Inversement, je me suis lancé tête baissé dans un autre projet de roman qui du coup s’est révélé très bancal, comme tu dis si bien. Il n’est pas achevé à ce jour.
    Alors je fais ceci, désormais: je planifie l’histoire dans les grandes lignes, je défini des personnages archétypes (plus ou moins), et je me laisse autant de champs libre entre les grandes lignes.
    Pour le moment, ça me convient comme façon de faire, mais j’ai toujours eu envie de lire le livre de ce mr truby, malgré tout.
    Un bon article, en tout cas.
    Merci d’avoir pris le temps de l’écrire !
    Et merci pour le pdf, que je vais étudier asap.

    Répondre
    • Bonjour Pascal,
      Content que l’article t’ait intéressé ! C’était bénéfique aussi pour moi de l’écrire et d’essayer de prendre un peu de recul sur ce que j’avais retiré de ce livre.
      L’important est de trouver son juste milieu entre le 0-planification et la sur-planification qui, comme tu le soulignes, coupe du plaisir de créer. Je pense aussi que ce juste milieu est susceptible d’évoluer en fonction de notre progression en tant qu’auteur : plus on acquiert d’expérience, et plus certaines choses deviennent « naturelles » pour nous (les personnalités des protagonistes, la structure, les rebondissements…).
      Bonne continuation dans tes projets !
      Jérémie

      Répondre
  3. Hello Jérémie,

    Je suis tombé sur ton blog tout à fait par hasard, en me posant des questions de structure. Comme quoi, le monde est petit. Ou plutôt, la Mare est grande !

    En tout cas, ce PDF que tu as concocté est vraiment bien fait et ta réflexion sur ce que dit Truby (que je n’ai pas (encore) lu) sont vraiment très intéressantes. Je ne suis pas certain qu’il faille absolument appliquer à la lettre, au risque de faire un énième pompé hollywoodien, avoir conscience de toute cela ne peut qu’aider.

    Bref, merci beaucoup !

    Du coup je garde l’adresse de ton blog !!

    Répondre
      • Bonjour Jeremy
        j’espère que vous allez bien.
        je m’essaie à l’écriture si on peut le dire ainsi et j’ai besoin d’orientation pour ma carrière.

  4. La nouvelle édition sort dans quelques jours, le 19 janvier 2017, aux éditions Michel Lafon, avec une traduction revue, sous la direction de l’auteur, et plus de 70 pages inédites de questions/réponses tirées de ses master class françaises…

    Répondre
    • Bonjour Olivier,
      Merci pour cette information. J’avais vu que John Truby organisait des master classes en France, les questions/réponses seront sûrement intéressants 🙂
      A bientôt,
      Jérémie

      Répondre

Laisser un commentaire