Je viens de finir « Black-Out » , le tome 1 de Blitz, diptyque d’uchronie écrit par Connie Willis. Une équipe d’historiens de 2060 voyagent dans le temps pour étudier la Seconde Guerre mondiale. Le Blitz, ce sont les 9 mois de bombardement incessant de Londres par l’aviation allemande… (rentrez la tête dans les épaules !)
Ce récit est intéressant à plus d’un titre, mais je dois avouer que j’ai un peu peiné à le lire. Voici pourquoi.
Honnêtement, j’aime beaucoup l’Histoire. Je m’en rends de plus en plus compte à force de lire et d’écrire de l’uchronie. Et je trouve que l’auteure de « Black-Out » a une faculté remarquable pour nous faire voyager dans le passé et dans ce que vivaient ces gens, grâce à la richesse de ses descriptions, des situations et à l’utilisation de plein de détails dans le récit. Ce n’est pas pour rien qu’elle a reçu la triplette Prix Hugo, Prix Locus et Prix Nebula !
Je ne vais pas écrire un cours d’histoire sur ce point précis de la Seconde Guerre mondiale (je laisse ce soin à Wikipédia), mais je peux vous dire que le blitz a été 9 mois de cauchemar pour les Londoniens, de septembre 1940 à mai 1941 ! Notamment, ils étaient obligés de :
- respecter le black-out sous peine d’amende : aucune lumière nulle part la nuit pour ne pas donner d’indice aux bombardiers allemands,
- se réfugier dans des abris parfois sommaires dès que sonnaient les sirènes d’alerte (toutes les nuits ou presque). Le métro a été occupé toutes les nuits par des milliers de personnes (cliquer ci-dessous pour agrandir),
- assister impuissants à la destruction de leur capitale… quartier par quartier… Big Ben a miraculeusement été épargné !
L’horreur 🙁 C’est donc dans ce décor que prend place le récit de Connie Willis, dans ce Londres en proie aux bombardements et dans la campagne environnant la capitale. On découvre d’abord dans les historiens du futur dans la routine de leur métier, mais la situation de guerre n’est pas un simple artifice : l’auteure la rend vraiment problématique pour eux. Peu à peu, des anomalies et autres menus incidents s’accumulent et on se doute que ça va finir par un gros problème ! L’enjeu pour ces explorateurs temporels étant de ne pas dérégler l’Histoire en évitant de prendre part à des évènements majeurs.
Ces personnages se révèlent savoureux et très vivants, je pense surtout à Merope et aux garnements atteints de varicelle dont elle a la charge ! Mais qui sait, peut-être même que sauver la vie d’un gamin des rues pourrait avoir un retentissement important sur le dénouement de la guerre… ?
Mais je pense aussi à Polly qui se retrouve obligée de travailler le jour comme vendeuse de vêtements en plein cœur de Londres ravagée et de se réfugier la nuit dans les abris anti-bombardements où, malgré ses résistances, on l’entraîne à jouer Shakespeare.
Ou à Michael qui se retrouve contre son gré (c’est franchement cocasse) à participer à l’évacuation de l’armée anglaise en déroute à Dunkerque. Évacuation qui ne fut possible que grâce aux centaines de bateaux de pêche et de particuliers réquisitionnés pour l’occasion (franchement, ça vaut le coup d’œil sur Wikipédia), un nœud majeur dans le déroulement de la guerre, tellement décisif qu’une petite bourde pourrait bien faire basculer le cours de l’Histoire…
Toutes ces situations sont remarquablement bien exploitées en termes de conflit. Chaque personnage y va de son objectif (étudier l’histoire, puis survivre) et se retrouve face à une joyeuse accumulation d’obstacles. Nous avons donc affaire à un récit à intrigues multiples, dans lequel on sent bien que les histoires vont s’entrecroiser. J’aime bien.
Les points forts de ce roman
Je trouve le tome 1 de « Blitz » très intéressant pour sa riche documentation historique et pour l’exploitation habile qu’en fait Connie Willis : tout ce qui peut être source de problème pour des gens du futur se retrouvant en 1940 le devient. Que ce soit les bombardements, le black-out, les transports, les maladies, l’absence de portable (je ne vous en dis pas trop)… Les difficultés liées à la situation de guerre sont vraiment omniprésentes.
Connie Willis s’est notamment documentée auprès d’un groupe de femmes ayant vécu le blitz en tant que secouristes, infirmières ou préposées à la Défense passive. Ces interviewes lui ont permis d’obtenir des descriptions précises et des anecdotes précieuses pour rendre crédible et vivante son histoire. C’est une chance pour elle qu’il y ait encore des personnes à avoir vécu la période 1939-1945. Si ses protagonistes avaient davantage remonté le temps…
Autre point fort du roman : l’ironie dramatique diffuse des situations, notion développée par Yves Lavandier dans « La Dramaturgie » . Le lecteur et les historiens du futur connaissent le dénouement de la guerre mais tous les Anglais de 1940 l’ignorent. Nous avons donc une longueur d’avance sur eux et cela rend de nombreuses scènes comiques ou un peu tragiques. Très savoureux.
Mais un gros défaut…
Le défaut que je trouve au livre est justement l’importante exploitation de cette riche documentation… qui devient presque trop… Je m’explique : le récit met vraiment du temps à démarrer, l’auteure préparant tous les ingrédients nécessaires pour mettre ses protagonistes dans la mouise. Cette mise en place dure environ la moitié du roman qui fait quand même 600 pages en poche. C’est un peu long… J’espère que, du haut de ses 950 pages, le tome 2 de Blitz intitulé « All Clear » sera plus rythmé. On est en droit de l’attendre car lui aussi a raflé la triplette Hugo-Locus-Nebula.
Ce lent démarrage a toutefois le mérite de créer un fort sentiment d’attente : on se doute que tout ne va pas bien se passer, que ça va finir par dérailler, quoi qu’en pensent les personnages…
Se documenter sur l’Histoire
Il y a donc 4 sources de documentation possible pour écrire un roman qui prend place dans le passé : les personnes (vivantes de préférence !), les livres, les lieux, et internet. Les images et les lieux sont idéaux pour visualiser, réussir ses descriptions et retranscrire l’ambiance, mais rien ne remplacera les personnes pour les anecdotes et les expressions langagières.
Mais quand on veut écrire une fiction historique ou une uchronie qui prend place dans un passé plus lointain que 1920, impossible d’obtenir des témoignages de personnes âgées… C’est mon cas avec « La Balade du Détecteur » : mes personnages voyagent en 1807 et en 1882, à Saint-Malo, Paris et Bordeaux. Dommage, j’aurais apprécié d’interviewer des anciens et de recueillir leurs mémoires sur cette époque lointaine. Rien que depuis la fin de 39-45, l’évolution qu’a suivie notre société me semble déjà tellement énorme…
Pour avoir une image des lieux et des gens, il y a donc les photographies qu’on peut trouver dans les livres d’histoire et patrimoine, mais l’invention officielle de cette technique date de 1839 (une demi-heure de pause) et elle ne se généralise que sur la fin du XIXe siècle. Avant ça, on ne peut qu’espérer trouver des peintures, dessins, gravures, et bien sûr les descriptions textuelles. Pour cela, j’ai consulté avec intérêt des ouvrages dans les médiathèques de Saint-Malo et Rennes.
Quant aux lieux à visiter, je compte également me rendre au château de la vieille ville de Saint-Malo pour rencontrer les guides historiques, d’autant que mon personnage est censé travailler là-bas. Rien ne vaut une visite sur place 🙂
Et il y a bien sûr internet avec ses banques d’images, de textes et de témoignages. Si vous écrivez des fictions historiques ou des uchronies prenant place dans le passé ou dans un présent alternatif passéiste, je vous recommande de consulter notamment :
– la bibliothèque numérique Gallica, qui dépend de la Bibliothèque Nationale de France et contient une foule de documents anciens. Il y a des liens qui renvoient vers ces documents sur les sites de bibliothèques municipales partout en France.
– l’Institut National de l’Audiovisuel met ses archives à disposition, une vraie mine d’or !
Pour conclure, je vous recommande donc « Black Out » pour la qualité du voyage temporel qu’il propose. Et si vous avez des adresses de site où trouver de la documentation historique, je suis preneur !
Salut Jérémie,
J’ai lu avec passion et grand intérêt cet article.
Je suis une passionnée des voyages dans le temps (j’espère ne pas me répéter lol) : je me souviens de la célébrissime trilogie cinéma « Retour vers le futur » ainsi que l’ancienne version du film de 1960, « La machine à explorer le temps ». Je crois qu’on peut le trouver en DVD et il en existe la première moitié sur Dailymotion. J’ai vu aussi son remake (2002), quoique très différent mais super aussi. Inspiré du livre éponyme de H.G. Wells.
Je pense aussi à la célèbre série « Docteur Who » avec sa folie à l’anglaise, délicieux et excentrique, parfois loufoque.
Nous sommes tous, plus ou moins, fascinés par le Temps et le passage du temps. Quel grand rêve de l’Homme que de pouvoir voyager dans le temps ! Est-ce que ce sera possible un jour ? A mon sens non, mais je n’ai peut-être pas connaissance de toutes les données.
La littérature et l’uchronie sont un moyen idéal pour s’éclater avec ce sujet 😉
Je vais lire ce livre que tu recommandes de Connie Willis, je l’avais d’ailleurs noté dans ma « to read » liste.
J’ai en mémoire également notre célèbre centenaire, Jeanne Calment (1875-1997 merci Wikipedia), personne ayant vécu le plus longtemps de façon avérée, au monde. Jeanne Calment avait rencontré ce cher Van Gogh en chair et en os !
Salut Marjorie,
Oui, il y a peut-être une sorte de fantasme à pouvoir remonter le cours du temps, changer l’histoire, peut-être à rejouer les scènes importantes de sa propre vie pour lui donner une autre direction si l’on n’est pas satisfait de certaines choses… « Si j’avais une deuxième chance »… Malheureusement (ou heureusement ?) ce n’est pas possible aujourd’hui, on n’a pas d’autre choix que d’accepter ce qui a été.
J’ai du mal à me représenter ce que peut être une vie aussi longue que celle de Jeanne Calment, de voir autour de soi une telle évolution de la société (on est quand même dans une époque charnière où le changement en un siècle est bien plus important que celui qui a eu lieu entre l’an 1 et l’an mil 😉 ). J’espère que ce livre te plaira !
A bientôt 🙂
Classe ton site !
Bonne continuation.
Sinon y’a dix siècles entre l’an 1 et l’an mil 🙂
C’est exact 🙂
« on est dans une époque charnière où le changement en un siècle est bien plus important que celui qui a eu lieu en 10 siècles entre l’an 1 et l’an mil » 😉