J’ai le plaisir de vous proposer l’interview d’un 2nd écrivain dont j’apprécie beaucoup le travail : Stéphane Desienne. Il est notamment l’auteur de la série « Toxic » que j’ai adorée (voir ma chronique de la saison 1) et de « Exil » , une autre série littéraire à paraître au 1er trimestre 2015 qu’il me tarde de découvrir. Stéphane est aussi un auteur du collectif CoCyclics.
Il a accepté de répondre à mes questions sur sa façon de travailler.
Bonjour Stéphane ! Tout d’abord, merci d’avoir accepté de répondre aux questions de cette interview.
1. Pourrais-tu nous présenter ton parcours d’auteur ? Depuis combien de temps tu écris, qu’est-ce que tu as publié avant Toxic, est-ce que dans le passé tu as eu des difficultés à écrire, etc. ?
Le parcours est modeste, avant Toxic, je n’ai publié qu’un seul texte : « Dealer d’iceberg » pour le concours annuel de l’ENSTA. J’écris depuis des années (je ne me rappelle plus quand j’ai commencé) et j’ai quelques millions de signes qui dorment sur le disque dur.
Sur l’écriture, il y avait des signes avant-coureurs à l’école. Cependant, je n’ai jamais brillé en français. J’avais des capacités au niveau rédactionnel ce qui m’a bien servi en philo ou en histoire-géo pour articuler les idées et les arguments, mais je ne parlerai pas de facilités.
Quand j’ai commencé à écrire de la SF, il m’a fallu redécouvrir ma langue, me la réapproprier puis, apprendre à construire des personnages, à mettre en scène, etc. Tout cela s’est effectué par étapes. Je continue d’ailleurs à apprendre.
2. Comment t’es venu l’idée de Toxic, de combiner aliens et zombies ? D’une manière plus générale, peux-tu nous dire comment tu trouves l’inspiration ?
C’est arrivé à un moment où je découvrais The Walking Dead et que je m’intéressais au renouveau de la novella en format numérique, des séries… J’imaginais alors quelque chose de court et de fun, un texte « à consommer ». Et puis, en 2012, on parlait beaucoup de fin du monde, des Mayas, de zombie apocalypse, etc. Du coup, les zombies se sont invités dans ma tête.
L’intégration des aliens est arrivée plus tard. Sur un projet précédent, j’avais créé un background complet et je me suis dit que réutiliser les races extra-terrestres dans ce contexte apporterait un plus. Dans un thème archi visité, le mix alien-zombie s’est présenté comme très excitant, avec un gros potentiel. Ça a longtemps occupé mon esprit. Et ça continue… Je travaille sur un autre projet avec des zombies, là aussi, le traitement se veut différent de ce que l’on peut découvrir par ailleurs.
L’inspiration se croise dans de nombreuses situations : fruit du hasard, de la rencontre spontanée, travaillée, provoquée, organisée… On peut aussi être inspiré, mais ne rien sortir. Personnellement, je dirais qu’il me faut deux ingrédients : une situation et un déclic ; et que les deux fonctionnent simultanément. Autant je me montre curieux, j’observe partout où je me rends, autant je stocke articles, photos, idées que je classe (un personnage, un lieu, une idée, un début de pitch…). Mon dernier projet m’a été inspiré par un documentaire et d’autres sources sont venus se greffer dessus, c’est quand on croise le tout que ça devient excitant.
3. Tu es l’auteur de 2 séries de SF (Toxic et Exil), de plusieurs nouvelles et de plusieurs autres projets en cours d’écriture ou dans les limbes du circuit éditorial. Tu es productif ! Qu’est-ce que tu te dis juste avant de t’installer à ta table de travail pour écrire ? (sous-entendu : te dis-tu quelque chose de motivant ?)
Dès que mon café est fini, je me dis : allons tuer des bébés phoques ! (c’est une expression qui vient d’un livre de Tom Clancy, dont je suis fan depuis des années). Je me frotte les mains et je reprends exactement au milieu de phrase où je me suis arrêtée. Quand je clos une séance d’écriture, je ne termine pas la phrase que je suis en train d’écrire : je la laisse en l’état. Ça facilite mon démarrage.
4. Peux-tu nous dire si tu utilises une méthodologie particulière pour écrire ? Construis-tu un synopsis de travail détaillé, des fiches personnages, fais-tu des dessins pour mieux visualiser, etc. ou bien écris-tu d’une manière plus intuitive ?
C’est en fonction du projet.
S’agissant des textes courts, j’écris à l’intuition, sans plan. Je me laisse porter par les personnages ou bien le fil de l’histoire avec l’idée de placer un ou plusieurs contre-pieds dans l’histoire, si possible.
Pour les romans : j’ai absolument besoin d’avoir la fin, au moins une fin (parce que je sais que j’arriverai à finir). Je construis ensuite un scénario sans entrer dans les détails en partant de l’idée générale que je tire, étire jusqu’à développer un ensemble qui me paraît cohérent. En gros, c’est la méthode des flocons.
[voici un résumé de cette méthode et des explications détaillées]
Pour les séries : je prends du temps (plusieurs semaines) pour construire un synopsis détaillé qui va être une sorte de bible de la série. Avec des fiches personnages, une timeline, des notes, etc. Les séries sont longues, c’est un travail de longue haleine. « Toxic » , c’est déjà 2 ans (en décembre) et l’histoire n’est pas terminée. Je ne peux pas me souvenir de tout, donc je me réfère souvent à ma bible, mes fiches, mes notes, le tout couplé à un petit moteur de recherche. Il est vital que le synopsis soit aussi détaillé que possible (j’y ajoute les décors, les ambiances, etc.).
5. Je lisais dans une interview que tu as donnée sur le blog de CoCyclics que tu avais mis du temps à accepter certaines remarques faites par des bêta-lecteurs sur ton roman « Les Dividendes de l’Apocalypse », mais que finalement, c’était une bonne chose. Peux-tu nous en dire plus ?
Sur ce texte, les bêta-lecteurs ont suggéré de passer de la novella au roman. J’étais très réticent au départ parce que j’étais centré sur l’unité de temps et de lieu (tout devait se passer en 24 heures le jour de l’Apocalypse). Changer le format impliquait de casser la règle.
Les bêtas ont pointé la complexité du background : donc la nécessité de l’approfondir, parce que ne pas en savoir davantage générait de la frustration. Cela ne gênait pas la narration, ni l’histoire en elle-même, mais : « Quel dommage de ne pas avoir développé tel ou tel point… » , « Et la bataille spatiale : bien trop courte ! »
Au départ, je n’étais pas d’accord. Je pensais aussi qu’il fallait tout refaire. Du coup, j’ai tout mis de côté avant d’y revenir plus tard.
C’est après que j’ai compris ce qu’ils voulaient me dire. Le changement de format a donné plus de volume aux personnages (un Pape plus « émotif » , un cardinal plus « sinistre » ) et ça a permis de mieux poser l’Artefact. Ce qu’il fait, comme il agit, sa découverte, etc. Donc oui, au final, c’est une bonne chose.
Autant il faut savoir camper sur ses positions, autant il faut savoir écouter / comprendre. Ce qui ne va jamais de soi, il faut parvenir à enlever ses œillères.
6. D’une manière plus générale, quelle importance revêt le forum de CoCyclics dans ton travail ?
Je suis arrivé sur Cocy en 2007. Je participe toujours autant que je le peux. L’apport de CoCyclics est variable selon les individus (ça dépend de ce qu’on attend, de la manière dont on fonctionne, comment on vit l’écriture, etc.). Pour moi, ça a été une découverte fabuleuse à plusieurs niveaux : l’émulation est sans doute la plus importante.
Sur ce forum, il y a des gens qui, comme moi dans mon coin, écrivent de la SF et partagent leurs expériences (autant dire que c’était aussi rare que de trouver un potager sur Mars). L’émulation est importante, car elle entraîne la stimulation qui elle entraîne d’autres moteurs… dont l’inspiration. Toxic a incubé sur Cocy et n’aurait probablement pas vu le jour autrement. S’il y avait un endroit où je pouvais poser sans sourciller un projet déjanté avec des zombies et des aliens sans obtenir des sourires polis ou des moqueries, c’était bien là. Au-delà des discussions sur les apports du cycle, c’est un forum animé par des passionnés de SFFF, où l’on peut poser des questions, obtenir des réponses, exposer son travail sans être jugés, etc.
J’y ai appris beaucoup : caractérisation, mise en scène, narration, j’ai trouvé des références (John Truby, Yves Lavandier…) et toutes les discussions tournant autour de ces approches et méthodologies / outils. J’ai appris en aidant les autres également. J’ai eu l’immense plaisir de travailler avec d’autres auteurs, d’en rencontrer. Au final, Cocyclics, c’est un peu comme un centre de formation pour sportifs : passion, émulation, entraînement et pour beaucoup : des résultats. Arnaud a décroché un prix pour son roman Les Pousse-Pierres, de même que Cindy avec Les Outrepasseurs, Cécile cartonne avec Les Foulards Rouges, pour ne citer que ces quelques exemples. Les auteur-e-s sont souvent mis-e-s à l’honneur dans les appels à textes ou les concours.
C’est une belle communauté ! Tout le monde travaille dur. C’est aussi là que j’ai croisé le chemin de mon éditeur…
Je parlais de déclic précédemment, je pense que CoCyclics a agit à la manière d’un déclic, comme disent les Américains : « a smart move at the right time ».
Ce n’est pas un lieu qui va évidement convenir à tous, mais en ce qui me concerne, c’est ici que je suis non seulement devenu un auteur, mais aussi que je me suis aussi senti auteur.
Quel(s) conseil(s) pourrais-tu donner à des auteurs débutants ?
Lâchez la bride, éclatez-vous, tuez des bébés phoques ! Ne vous interdisez aucun délire, aucune barrière… Le seul risque que vous courrez que c’est votre imagination finisse par plaire aux lecteurs, aux lectrices, aux éditeurs, à plein de monde. Et écrivez ! Tous les jours ! Un peu, beaucoup, lentement, rapidement, mais écrivez ! 50, 100, 1000 mots dans la journée… peu importe. Écrivez.
Je remercie Stéphane pour cette interview riche de partages 🙂 et j’en profite pour annoncer que Walrus, son éditeur, vient de lancer un appel à textes dans le monde de Toxic ! Et je compte bien y participer.
Si certains d’entre vous ont des questions complémentaires, n’hésitez pas, je suis certain qu’il aura plaisir à vous répondre !
Merci beaucoup Stéphane et Jérémie pour cette interview très intéressante.
Le parcours de Stéphane permet de se rendre compte qu’il n’est pas besoin d’avoir un talent inné pour l’écriture ou d’être la tête de la classe en français pour avoir du succès avec ses livres.
Ecrire, cela s’apprend ! Ce n’est pas un don, ou si rarement. Alors, tout le monde peut le faire, à condition de s’en donner les moyens.
Tout comme l’inspiration, qui se cultive. Un auteur bien organisé et à l’affût des signes du quotidien n’est jamais (ou si peu) à court d’inspiration.
Sinon, quelle organisation Stéphane ! Bravo. C’est très instructif de savoir comment vous procédez pour écrire. Et vos conseils sont très pertinents.
Et comme vous le dites : ne surtout pas travailler seul. C’est le problème de l’écrivain solitaire. Or, ça ne fonctionne pas comme cela. Il faut se tourner vers les autres, se créer un réseau pour partager ses écrits, avoir des avis extérieurs, discuter, s’entraider… Et en finalité, s’améliorer.
Pour les auteurs de SFFF, CoCyclics est parfait pour cela, et très formateur.
Mais si c’est pour tuer des bébés phoques, alors là, je dis NON ! 😉
A bientôt,
Fred
Passionnant, d’autant plus que j’étais tombée sur cette série « Toxic », par un heureux hasard.
Je ne vais pas tarder à la lire, surtout que j’aime les zombies (enfin le thème artistique), alors allié au thème des OVNI, ça risque d’être riche en émotions !
Merci Jérémie pour cet article très complet, ainsi que pour ta performance (rapport à ton mail) au NaNoWriMo !
A bientôt
Marjorie
Merci à vous Marjorie et Fred 🙂
D’une certaine manière, nous sommes, potentiellement, tous des auteurs. Le propre de l’homme, animal social, étant de communiquer, de raconter des histoires…
Après effectivement, si on veut communiquer ses histoires par le biais d’un récit construit, il est nécessaire de s’organiser, d’apprendre, de travailler.
L’essentiel reste d’y prendre du plaisir. Les zombies ça m’amuse beaucoup et je continue l’exploration originale du thème à travers une série qui s’appelle Zoulag. J’espère qu’elle séduira un éditeur.
Quant à Toxic, la saison 2 est en préparation 🙂