Je n’avais encore jamais lu d’ouvrages de Laurent Genefort, même si j’ai le tome 1 d’Omale sur ma PAL… Un sacré pavé, le premier d’une trilogie, mais j’ai peu de temps pour lire. Alors, je me suis lancé sur ce one-shot assez court (350 pages) paru récemment (mai 2015) et triplement primé : Lum’en 🙂
Et je ne regrette pas ! C’était de l’excellente science-fiction, pour plusieurs raisons que je vais détailler dans cette chronique, même si un élément m’a un peu chiffonné…
Voici le résumé de quatrième de couverture (je partirai de ce résumé pour évoquer le point précis qui me chiffonne) :
« La vie intelligente sur Garance apparut cent mille ans avant que la planète ne porte ce nom. Cette vie-là n’était pas humaine, ni même organique. Lum’en était unique en son genre… »
Imaginez une étoile avoisinant sept dixièmes de masse solaire… Si vous levez les yeux, il se peut que vous aperceviez son éclat blanc-jaune sur la face antérieure du bras spiral d’Orion, à sept mille parsecs du centre galactique. Le système de Grnc.mld1 compte six planètes : cinq telluriques et une gazeuse. De ces six planètes, Garance est la seule qui évolue dans la zone d’habitabilité.
Lum’en relate la colonisation de Garance, une planète comme tant d’autres, du moins en apparence… L’histoire de ces femmes, de ces hommes rudes lancés à la conquête d’un monde, le récit des luttes de ces pionniers qui, au fil des générations, vont écrire la plus exceptionnelle des aventures, la plus terrible, aussi, celle de l’ancrage, du développement puis, inéluctable, du déclin d’une colonie dans les confins. L’essence même de la nature humaine, en somme, la quête d’horizons nouveaux. Quitte à rater l’essentiel…
Et voilà les couvertures. Franchement, il n’y pas à dire, j’aime vraiment celle de Manchu (à gauche). Je trouve d’ailleurs que ses couv pour le cycle d’Omale sont très belles.
L’évolution de la colonie sur une centaine d’années
Le roman suit l’évolution de la colonie humaine, qui passe progressivement du « stade pionnier », à « colonie légère », puis « colonie lourde » à mesure qu’elle se développe (je trouve d’ailleurs cette classification intéressante). On ne suit donc pas un personnage ou un groupe de personnages sur un temps donné, mais une série de personnages à des époques différentes où se produisent des évènements charnières qui impactent l’avenir de la société humaine en place.
Cela m’a un peu rappelé le déroulé de Fondation, d’Isaac Asimov, où l’on suit sur plusieurs siècles l’évolution de la colonie humaine dont l’histoire est jalonnée de « crises Seldon », des crises politiques majeures.
Cet aspect pourrait dérouter ceux d’entre vous qui aiment plonger dans la vie et la psychologie de protagonistes et les suivre pendant un roman entier. Moi, je trouve que ça change, et puis il me semble que c’était la façon la plus intelligente de raconter cette histoire d’évolution coloniale sur le long terme.
Un bel exemple de planet-opera
Je trouve que Laurent Genefort a vraiment bien géré la création de cette exoplanète 🙂 Il m’a été très agréable de me projeter dans l’écosystème luxuriant de Garance, une planète-forêt couverte de « caliciers » (voir image ci-dessous), des arbres-corail abritant faune et flore, un peu à l’image de mini-atolls. Une richesse pour cette planète, mais également un inconvénient, en regard de l’avidité des entreprises multimondiales (voir point suivant)…
L’espèce intelligente autochtone, les pilas, est très sympathique et plutôt touchante de par sa naïveté à notre encontre. Cette attitude n’est d’ailleurs pas sans rappeler celle des Indiens d’Amérique face aux Conquistadores… L’auteur nous offre le plaisir d’un chapitre centré sur deux individus, où l’on adopte leur point de vue non-humain, non-anthropocentré (pas évident à écrire…). Leur point de vue sur nous, humains. C’est vrai que si j’étais un extra-terrestre, je trouverais que nous sommes de drôles d’animaux ^^
Ce livre est ainsi un beau spécimen de planet opera 🙂 La qualité de cet univers imaginaire m’a fait penser au Chasseur et son ombre, une exoplanète fraîchement colonisée par l’Homme et créée par George R. R. Martin et deux autres auteurs.
Le thème écologiste
Il apparaît en filigrane tout au long du roman et se trouve finalement être assez central, sans toutefois devenir pesant ou dogmatique. On y observe une colonie humaine qui a besoin de trouver des ressources pour continuer à être « rentable » pour être « subventionnée » par la DemeTer, la compagnie multimondiale dont elle dépend. Je ne spoile par grand-chose en vous disant que, sur cette planète à l’écosystème vierge, ce ne sont pas les ressources qui manquent pour qui sait où chercher…
Allez, je ne peux pas résister à vous mettre une image du vaisseau colonial de la DemeTer, la multimondiale vorace propriétaire de la planète Garance, qui arrive au spatioport. Vous pouvez cliquer dessus pour l’agrandir :
Dans cette histoire, l’auteur dépeint donc l’impact des activités humaines sur l’environnement, activités dirigées par le besoin à court terme de survivre (pour les colons) et de s’enrichir (pour la DemeTer)… J’ai trouvé aussi très pertinent la manière dont Laurent Genefort traite la question des pilas, ces autres êtres intelligents, premiers « propriétaires » légitimes de cette planète. Propriétaires légitimes, certes, mais qui deviendraient un peu gênants s’ils venaient à réclamer qu’on laisse leur écosystème tranquille…
Mais la meilleure manière de ne pas entendre la voix de quelqu’un est tout simplement de ne pas lui donner la parole, voire de lui museler la bouche, n’est-ce pas ? Pas de problème, l’espèce humaine sait très bien faire cela ! On en revient à un thème cher à la science-fiction : à partir de quand un être, qu’il s’agisse d’un extra-terrestre ou d’une machine, est-il suffisamment intelligent et conscient pour être considéré comme notre égal ? En disant ça, je pense à l’excellent film Ex Machina que j’ai revu récemment (lire ma chronique ici) où l’enjeu est justement de déterminer si une IA est aussi consciente qu’un humain.
Juger que l’autre n’est pas conscient ou pas assez conscient est plutôt confortable pour qui ne veut pas prendre en compte la nécessité de le respecter… Les animaux ne sont-ils pas, encore aujourd’hui en France, considérés comme des meubles par la loi ?
Ce qui m’a chiffonné dans ce livre
Je vous disais plus haut que j’allais repartir du résumé pour évoquer ce qui m’a un peu gêné :
Lum’en relate la colonisation de Garance, une planète comme tant d’autres, du moins en apparence… L’histoire de ces femmes, de ces hommes rudes lancés à la conquête d’un monde, le récit des luttes de ces pionniers qui, au fil des générations, […]
Héhé, ça me fait sourire, ce côté démago dont on fait parfois preuve en citant les femmes en premier, au nom de l’égalité des sexes ! À mon avis, la plupart du temps, c’est hélas une histoire de politiquement correct, pour ne pas se faire taxer de sexiste et pour s’attirer les bonnes grâces des lectrices. Il ne faut pas être dupe : si l’égalité des sexes était effective dans notre société, on s’en ficherait pas mal de citer les hommes ou les femmes en premier (zut, j’ai écrit « hommes » en premier, vous allez me prendre pour un misogyne 😉 ).
Blague à part, j’ai souligné cette expression dans le résumé car, dans le roman, les femmes ne sont absolument pas mises en avant. Elles ne sont que trois à apparaître et y tiennent des rôles très secondaires : une Eve et une copine pour le premier personnage masculin, puis une garde du corps très masculine pour le diplomate… Est-ce à croire que la colonisation est une affaire d’hommes ? Je ne crois pas, mais je serais curieux de savoir pourquoi Laurent Genefort s’est concentré uniquement sur des personnages masculins. On peut lui prêter plein d’intentions, faire tout un tas de suppositions, mais en définitive, il n’y a que lui qui puisse (peut-être) répondre.
Mais le plus intéressant pour moi, en tant qu’auteur, a été de me demander si je développais des personnages féminin dans mes histoires. En regardant mes trois romans en cours, j’ai vu que non : les rôles principaux sont tenus par des hommes. Par contre, dans mes nouvelles, il y a plusieurs héroïnes : Alice dans Alice et le Crédit solidaire (même si on m’a déjà dit que sa naïveté faisait de ce récit une histoire dévalorisante pour les femmes !), Flora dans Le Cube d’ambre et Elsa dans La Clé du camp.
Je ne m’explique pas trop ce déséquilibre… Peut-être simplement parce que je me projette plus facilement dans les histoires que vivent mes personnages s’ils me ressemblent : homme, la trentaine. La question pourrait se poser également sur l’âge de mes personnages 😉 Aucun n’est âgé de plus de 40 ans et il n’y a qu’Elsa qui soit un enfant (et encore, elle est assez mature pour son âge).
Conclusion
Pour en revenir à Lum’en, je ne peux pas non plus dire que ce dernier point ait gâché mon plaisir de lecteur et cela ne m’empêchera pas de vous recommander chaudement ce roman ! Surtout si vous ne vous sentez pas trop dispo pour vous lancer dans le cycle d’Omale, ce livre peut être une bonne porte d’entrée dans l’univers de Laurent Genefort.
Merci pour cet article.
Tout comme toi, j’ai Omale dans ma PAL, mais peu de temps pour le lire.
Etant également un bon lecteur de SF, quasiment tous les personnages héroïques sont des hommes. Il est rare que cela soit une ou des femmes. On peut peut-être l’expliquer par le fait que la plupart des auteurs de SF sont des hommes.
Bonjour Acharat 🙂
Oui, je crois aussi (mais n’ai aucun chiffre pour l’appuyer) que beaucoup d’auteurs de SF sont des hommes. Ceci explique peut-être cela. Ça m’intéresserait de savoir si les auteures mettent principalement en scène des femmes 😉
A bientôt,
Jérémie
Très bon roman …. qui fait gamberger.