J’ai lu Quantex, de Ludovic Albar, il y a plusieurs mois déjà. Le temps a passé mais il m’a suffisamment marqué pour que j’aie envie de vous en faire la chronique, notamment parce qu’il m’a appris plusieurs choses pour écrire de la science-fiction et créer l’univers futuriste d’un roman.
Des choses à faire et d’autres à éviter pour convaincre son lectorat…
Présentation du roman
On est au XXXe siècle, le Système solaire est conquis par la race humaine. Un complot et une révolution se trament et la menace d’une guerre interplanétaire se profile… L’espion martien Lewis Khandra est envoyé en mission sur la Terre, gouvernée par une dictature d’immortels, pour infiltrer un groupe de rebelles. Mais rien ne se passe comme il l’avait prévu…
Ce livre, édité en 2002 par les éditions Mnémos, est une histoire de space opera très prenante, mais aussi très complexe. Il vaut mieux ne pas décrocher en cours de route, sinon on risque de se perdre parmi les nombreuses entités politiques aux buts différents, même si des alliances se nouent. Il y a beaucoup de rebondissements et de coups de théâtre, parfois un peu trop pour qu’on comprenne facilement qui veut quoi, ainsi que les tenants et les aboutissants de chaque acte.
J’ai beaucoup aimé les descriptions des vaisseaux furtifs et les combats spatiaux, le côté « évolution technologique dans 1000 ans » est très bien rendu. J’ai aussi vibré avec les révolutionnaires et tremblé quand ils étaient en danger ou en difficulté.
Certains personnages sont très attachants : Gloria la rebelle sensible qui redécouvre ce qu’est la condition de mortelle, et Makinen le diplomate libertaire. D’autres, les méchants, sont franchement repoussants : Upsilo Rebekka le cyborg froid et brutal, Valoras le dictateur terrien mégalo, le Général Safaris et Kareem XII, le Magnat suffisant de la Ligue des commerçants.
6 conseils pour rencontrer son lectorat et le satisfaire
Des éléments qui, pour moi, concourent à faire de ce livre une bonne histoire de science-fiction. Sûrement que de s’en inspirer peut contribuer à améliorer nos écrits 😉
1. Une belle couverture, c’est la base ! Il faut la soigner (ou payer quelqu’un sur Fiverr, par exemple). C’est elle qui a attiré mon attention pendant que je faisais la queue à la caisse d’une petite librairie spécialisée à Angers (Phénomène J pour ceux qui connaissent). C’est l’aspect futuriste et le fait que j’ai reconnu un des dômes de l’Opera House de Sydney en ruine, ça a saisi mon imaginaire et ça posait l’ambiance…
Bravo à l’illustrateur dont j’aime beaucoup le travail : Manchu. Il a fait par exemple des couv pour des romans de Robert Charles Wilson.
Vous pouvez cliquer sur l’image pour l’agrandir :
2. Puis, c’est la 4e de couverture qui m’a convaincu de l’acheter. L’univers futuriste promis par la couverture semblait au rendez-vous, avec une intrigue « espionnage et politique » consistante. C’est un élément capital si l’on veut convaincre un lecteur que ça vaut le coup de donner une chance à notre histoire.
3. Pour créer un monde futuriste crédible, voici plusieurs éléments pour immerger efficacement le lecteur :
- La technologie est bien pensée, assez présente et habilement décrite, notamment l’astronautique (les vaisseaux de guerre furtifs, les combats spatiaux), mais aussi les divers dispositifs anti-gravité pour aider dans leurs déplacements les habitants de satellites (Lune, Titan) quand ils sont sur la Terre, car ils ne sont pas adaptés à sa forte gravité. Sans oublier le Quantex, version futuriste et interplanétaire d’internet qui archiverait toutes les productions de l’humanité…
- Le vocabulaire utilisé est judicieusement choisi et ne nécessite pas d’explication, il se comprend de lui-même, par exemple pour les matériaux utilisés : plastacier, métacéramique, duraluminium… Ludovic Albar évite ainsi l’écueil de « J’explique à mon lecteur ».
- Le clonage présente 2 types d’utilisations qui ont des conséquences politiques et sociales : l’immortalité pour les riches dirigeants Terriens et une armée infinie pour la Terre, malgré des problèmes de stabilité génétique (oui, il faut bien une contrepartie à ce pouvoir).
- Les communautés humaines du Système solaire ont des cultures, des religions et des modes de vie différents, que l’on sent modelés et dictés par leur environnement : la Lune proche de la Terre, Titan éloigné, les pirates sur leurs cités spatiales…
4. Doter son monde d’une vraie dimension politique pour lui donner du relief : au moins 6 entités politiques (Terre, Lune, Mars, Titan, les rebelles, les pirates) + une compagnie qui a le monopole de l’énergie qu’utilisent les vaisseaux et un groupe commercial très influent qui dicte et impose souvent ses règles.
J’ai été impressionné par la maîtrise que l’auteur avait de cet aspect. Les protagonistes manœuvrent habilement en fonction de leurs intérêts, pas toujours immédiatement apparents. Il y a beaucoup de menaces voilées dans les dialogues entre les représentants des partis, c’est assez marrant et savoureux. Ça me donne des idées pour enrichir « Une Cité sous Influences » (actuellement en cours de rédaction, publication automne 2014 si tout va bien).
5. Des citations au début de chaque chapitre (environ 45), extraites de l’Omnibibliothèque du Quantex. C’est bien trouvé, ça entretient la curiosité et jette un autre éclairage sur ce qui se passe dans le chapitre, sur le contexte du roman et le passé de l’humanité. Ce n’est pas le premier auteur à faire ça, mais là, ça fonctionne bien et ça évite l’écueil dont je parlais plus haut : « J’explique à mon lecteur ».
« La théorie prédisait cette fonction, cette capacité de la gémellité du cosmos à anéantir les distances et le temps. Le marsénium nous a fourni la formidable densité d’énergie négative nécessaire pour l’exploiter. Ne me demandez pas comment fonctionne la propulsion transgemellaire. Personne n’en sait rien ! Le secret se trouve au cœur atomique des cristaux de marsénium, il permet de dédoubler l’espace comme on dédouble une feuille de papier suffisamment épaisse, afin de faire glisser nos vaisseaux le long de la faille ainsi créée entre les deux univers jumeaux. […]
Maître Yasser THORUS-BALWIND, Mémoire sur la possibilité d’une propulsion instantanée au travers de la faille transgemellaire, Université Libre d’Olympus Mons, Mars (année 2422, CS).
In CEG Histoire du Système Solaire, « Technologies et arts astronautiques », « Marsénium », Catalogue Dzêta, Article 801, Omnibibliothèque du Quantex.
6. Et comme c’est une trilogie, à la fin, Ludovic Albar esquisse des évènements et des dialogues qui restent mystérieux, mais qui seront importants pour la suite, on le sent. Toutes les pièces semblent en place pour la 2e partie… On se demande ce qui va arriver à Khandra pour qui les péripéties et les dangers ont déjà été nombreux. C’est bien joué pour aiguiser la curiosité d’un lecteur 😉
3 erreurs à éviter si l’on veut conserver ses lecteurs tout au long du livre
Bien sûr, cela n’engage que mon avis (et il est forcément subjectif), mais ce sont des éléments qui m’ont rebuté pendant ma lecture et qui, s’il n’y avait pas eu d’autres qualités, m’auraient peut-être fait abandonner le roman en cours de route…
1. Il y avait trop de coups de théâtre… Un à la fin de chaque chapitre quasiment. C’est une recette qui devient lassante et prévisible quand c’est le seul mode de progression de l’histoire.
2. Je me suis senti trop loin du personnage principal pour pouvoir m’y attacher affectivement et suivre son évolution intérieure. Même si on suit les grandes étapes de son aventure, beaucoup de chapitres mettent en scène d’autres personnages, ailleurs, et servent en fait à faire progresser l’intrigue politique. Mais du coup, on ne sait pas trop comment Khandra vit les choses, ce qu’il se dit, etc. Dommage, on n’a pas le temps d’éprouver beaucoup de sympathie pour lui. Espérons que le tome 2 palliera à ce manque !
3. Le style d’écriture est bien trop emphatique et homogène à mon goût : il y a énormément d’adjectifs grandiloquents, d’adverbes, de compléments et de subordonnées dans des descriptions aux phrases parfois très longues. De plus, tous les personnages parlent de la même façon très soutenue, de la même façon que la narration et que les articles du Quantex, ce qui n’est guère réaliste… Le style est vraiment trop lourd et ça rendait parfois la lecture laborieuse… Voyez plutôt ci-dessous un extrait, choisi sur une seule page. Remarquez la redondance des adjectifs que j’ai soulignés avec leurs noms :
Sous l’impact terrifiant du corps céleste en plein cœur de l’océan principal, une fantastique onde de choc se diffusa dans toutes les directions à la fois, à une vitesse phénoménale.
[…] le choc inouï […] un raz-de-marée titanesque […] de puissants et terribles cataclysmes […] etc.
N’hésitons pas à faire simple et à varier les styles d’expressions des personnages, comme y invite Stephen King dans son manuel ! Pour ma part et suite à des conseils reçus sur CoCyclics, j’essaie de limiter l’emploi des adverbes de manière qui finissent en -ment.
Vous aurez remarqué que ces critiques ne concernent que la forme, pas le fond. J’ovationne le fond, l’intelligence du propos sur l’écologie, l’immortalité, la spiritualité… Ça rappelle un peu Fondation car l’auteur nous livre sa vision d’une fresque historique et politique du futur, un peu comme un état des lieux de l’humanité dans 1000 ans.
Si vous voulez vous procurer ce livre, c’est par ici.
Voilà, j’espère que cet article vous aura aidé pour votre pratique de l’écriture, autant que la lecture de ce livre m’a apporté ! Que pensez-vous des éléments que j’ai soulignés ?
Cher Jérémie,
Je vous remercie très sincèrement pour toutes ces remarques qui vont me permettre personnellement d’améliorer mes écrits. Les critiques sont concrets et pertinents et m’aident à proposer ce qu’il y a de mieux pour la couverture, mais dans le style, il y a des choses dont vous parlez et qui renforcent ce que j’avais remarqué dans d’autres livres. En tout cas, je vous remercie pour votre bon sens de la communication et du partage des idées constructives. Que Dieu vous bénisse
Bonjour Monique,
Merci pour votre commentaire enthousiaste ! J’espère sincèrement que ces conseils tirées de la lecture de ce roman vous aideront, que vous écriviez de la sf ou pas. Et c’est vrai que la couverture est déterminante, j’en reparlerai d’ici une semaine dans le bilan que je ferai de la publication de ma nouvelle « Un Fils Inattendu » sur Amazon.
A bientôt,
Jérémie
Hello Jérémie,
Très belle chronique, merci beaucoup !
J’avais déjà noté ce livre dans ma liste à lire (évoqué d’ailleurs par toi), donc là ça me donne encore plus envie de le lire, malgré les défauts évidents de la forme du texte. Je suis d’accord avec toi, trop d’adjectifs font amateur. Heureusement que le fond semble fantastique ! Quel boulot que d’imaginer un tel contexte dans le futur ! J’avais lu Fondation et j’en suis restée marquée, faudra que je le relise à l’occasion.
J’attends avec impatience ton bilan de ta nouvelle « Un fils inattendu ».
A bientôt
Marjorie
Bonjour Marjorie !
Merci pour ton commentaire, ça fait plaisir 😉 (j’y ai passé du temps, mais le sujet me plaisait beaucoup)
Je ne dirais pas que trop d’adjectifs fait « amateur », parce qu’à l’évidence, il y a une vraie maîtrise de la langue française, mais c’est plutôt pompeux et pénible à lire (même si ça plaît sûrement à des gens, en tout cas, l’éditeur l’a accepté)… Je comprends bien la tentation que l’on peut avoir d’en rajouter pour que le lecteur ressente encore plus fort ce que l’on veut transmettre !
Moi aussi, je dis souvent que j’aimerais prendre le temps de finir la série des Fondations, mais ma pile à lire est épaisse ^^ sans parler de ma pile à écrire !
A bientôt,
Jérémie
Ce que je voulais dire, c’est qu’un écrivain débutant a tendance à utiliser les adjectifs à tout bout de champ, de même que les envolées lyriques ^^ C’était mon cas.
C’est ce que je signifiais par amateur, c’est comme s’il manquait les vrais effets de style, la belle écriture travaillée, ciselée.
J’ai lu tout Fondation, mais je ne m’en souviens plus, donc à relire… plus tard ^^
A bientôt
Marjorie
Ok, je comprends mieux ce que tu voulais dire, c’était mon cas aussi !
Bonsoir Jérémie,
je tiens tout d’abord à te remercier pour cette merveilleuse chronique, et aussi pour tes critiques, malgré que je trouve les adjectifs bien, mais à mon avis lorsqu’un auteur fait ça c’est pour deux raison:
1- soit il est vraiment en manque d’inspiration qu’il ne trouve pas comment faire ressortir la description des objets des situations des personne,
2- soit il cherche à impressionner les lecteurs en imaginant un monde futuriste un peu orgueilleux, car les personnages parlent avec un langage soutenue ou c’est juste pour dire qu’ils sont tellement intelligent qu’ils parlent pas simple.
à mon avis, l’évolution fait que le genre humain recherche la simplicité car au 19eme siècle molière parlait un langage soutenue pour impressionner car l’être humain à cette époque était primitif, mais au fil du temps ils ont évolué donc tel que marc levy il écrit dans le genre simple et c’est un auteur à succès ou encore veronica Roth avec divergente son Best seller très simple comme langage.
enfin, je suis d’accord avec toi pour la critique que ce style est lourd mais avec d’autres arguments.
merci encore pour ce merveilleux travail que tu fais, ce fut très constructifs 😉
Bonjour Diya et merci pour ton commentaire 🙂
Concernant l’abondance d’adjectifs et adverbes, je suis d’accord avec toi qu’un style plus simple est plus digeste (j’ai commencé un peu Divergente et c’est vrai que c’est agréable à lire, j’ajouterais aussi la série des Harry Potter). Je ne pense pas que Ludovic Albar ait été en manque d’inspiration car ses descriptions sont très riches et détaillées, mais il est possible qu’il ait cherché à impressionner ses lecteurs (il faudrait lui demander, il n’y a que lui qui puisse vraiment répondre 😉 ).
Content que cette chronique t’ait plu, il y en aura d’autres.
A bientôt
Jérémie